3 août 2016
Dans la ville
Amérique latine, continent sans frontières
L’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine (IHEAL), rattaché à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris III, célébra en 2014 ses soixante ans d’existence. Ce fut le ministre de la Justice et Garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand, qui inaugura le bâtiment de cet établissement. Soixante ans après, Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice et Garde des Sceaux, commémora, à côté des latino-américanistes, les relations académiques entre la France et l’Amérique latine.
Texte Andrea Amaya Porras Photos IHEAL, Andrea Amaya Porras
En février 1954, au 28 rue Saint-Guillaume à Paris, est né le 1er établissement en France dédié à l’étude de l’Amérique latine : l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine (IHEAL). Jean Sarrailh, recteur de l’Université de Paris à l’époque et hispaniste de formation, créa l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine (IHEAL) aux côtés de l’ethnologue Paul Rivet et du géographe Pierre Monbeig.
Quelques années avant la fondation de l’IHEAL, la France avait déjà l’Institut d’Études Hispaniques, inauguré en mai 1929 par Gaston Doumergue, président de la République française, dans la rue Gay-Lussac à Paris. Mais cet établissement fut une collaboration entre Espagnols et Français, ce qui veut dire que son offre d’études était axée uniquement autour des deux civilisations européennes. L’Amérique latine ne faisait pas encore partie de son cursus. Avec le temps, cet Institut changera son nom et son programme pour devenir l’Institut d’Études Ibériques et Latino-américains qui fait actuellement partie de l’Université Paris-Sorbonne – Paris IV.
À ses débuts, l’IHEAL fut un espace pour organiser des conférences et des réceptions. Mais c’est en 1956 que le président de la République, René Coty, inaugura le bâtiment qui sera le siège de l’Institut jusqu’à aujourd’hui. À cet événement, furent présents trois membres du gouvernement : François Mitterrand, ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères et René Billères, ministre de l’Éducation Nationale.
En 1957, le géographe Pierre Monbeig marquera l’essor de l’IHEAL. Ce professeur de géographie physique et humaine a appartenu au groupe d’experts envoyé par le médecin français George Dumas pour fonder l’Université de São Paulo (USP) dans les années 1930. Grâce au travail avec les conseillers brésiliens, les relations entre la France et l’Amérique latine, spécialement avec le Brésil, se sont renforcées. P. Monbeig fut professeur à l’USP jusqu’à 1946, pour ensuite, revenir en France en tant qu’attaché de recherche du CNRS.
Nommé directeur de l’IHEAL en 1957, P. Monbeig, aux côtés de son équipe, organisera les formations pour les nouveaux élèves. Ce furent des enseignements pluridisciplinaires sur l’Amérique latine : un programme de conférences sur la littérature et la culture latino-américaines fut créé ainsi que des enseignements en sciences sociales. Ce sont ces premiers professeurs de l’IHEAL qui vont offrir des formations moins classiques : « Pierre Monbeig sait attirer des personnalités non universitaires, en particulier des praticiens de l’économie comme Pierre Barrère ou Jacques Jouvin qui vient de la Banque française et italienne pour l’Amérique du Sud. Il accueille aussi de jeunes universitaires français qui reviennent d’un long séjour de recherche en Amérique latine et sont en passe de peupler les universités qui recrutent tant au début des années 1960 : François Bourricaud et Alain Touraine, seuls sociologues français travaillant alors sur le sous-continent latino-américain, ou Olivier Dollfus, géographe, ont ainsi l’occasion de faire leurs premières armes d’enseignement sur l’Amérique latine. Des étrangers prestigieux viennent se joindre à ce noyau ; Celso Furtado, exilé depuis la SUDENE brésilienne, apporte son charisme, son originalité. »1
Dans les salles de classe et dans les couloirs de l’IHEAL, la langue dominante est l’espagnol puisque le public est en majorité composé de Latino-américains. Ces mêmes gens vont se découvrir entre eux car tous partageaient, d’une façon ou d’une autre, des modes de vie, une culture, des traditions et des conditions socio-politiques similaires. Quant aux étudiants français, ils étaient une minorité à la rencontre de gens qui venaient des pays lointains qui faisaient rêver les Français.
"À partir des années 1970, le nombre d’étudiants et d’enseignants augmenta grâce aux exilés du Cône Sud."
Depuis sa création, l’IHEAL a reçu une grande quantité d’étudiants latino-américains et des professeurs français spécialistes de cette région. Mais, c’est à partir des années 1970 que le nombre d’étudiants et d’enseignants va augmenter encore plus, grâce aux exilés argentins et chiliens notamment. Les tensions politiques et les dictatures existantes dans le Cône Sud (Argentine, Paraguay, Uruguay, Pérou, Bolivie, Chili) firent qu’une vague d’exilés arrive en Europe, notamment en France où il existait déjà un fort réseau de solidarité. Parmi ce groupe, il y avait le chilien Jacques Chonchol, ministre de l’Agriculture pendant la présidence de Salvador Allende et qui dut quitter le Chili à cause du coup d’État organisé par Augusto Pinochet en 1973. En 1982, J. Chonchol fut élu directeur de l’IHEAL et gardera cette fonction pendant dix ans.
Dans la liste de directeurs qui sont passés par l’IHEAL, l’un des plus influents fut Pierre Monbeig, qui est resté à l’Institut jusqu’à 1977. En 1961, il fut nommé professeur à la Sorbonne et directeur du Département de Sciences Humaines au CNRS. Ce dernier poste lui permettra de financer les projets à l’IHEAL et de créer la bibliothèque qui porte son nom. En outre, en 1968 P. Monbeig créa le Centre d’Études Politiques, Économiques et Sociales (CEPES), lequel devint en 1980 le Centre de Recherche et de Documentation sur l’Amérique latine (CREDAL) et se transforma en 2010 en Centre de Recherche et de Documentation sur les Amériques (CREDA). En 2007, l’Institut des Amériques (IDA), est créé grâce à Jean-Michel Blanquer, directeur de l’IHEAL à l’époque. L’IDA est un point de convergence pour les réseaux d’universités qui travaillent sur l’Amérique du Nord et du Sud.
Qu’est-ce que l’IHEAL d’aujourd’hui ?
De 2012 à 2015, l’IHEAL fut dirigé par le géographe français Sébastien Velut*, ancien élève et enseignant de l’École Normale Supérieure et chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) au Chili. Il a soutenu en 2000 sa thèse sur le fédéralisme argentin. Pour S. Velut, les relations entre l’Europe et l’Amérique latine sont stratégiques et il faut les développer : « L’Europe et la France ne s’intéressent pas assez à l’Amérique latine et ne l’étudient pas suffisamment. Elles regardent d’autres destinations, d’autres régions du monde mais pas assez l’Amérique latine. Il y a des thématiques sur lesquelles on pourrait développer, comme l’innovation politique ou comment on gère des sociétés diverses, comment on vit. Ce sont des questions qu’on peut se poser en Europe et pour lesquelles on a intérêt à regarder cette région du monde. »
Sébastien Velut, ancien directeur de l'IHEAL.
Dans ses débuts, l’IHEAL délivra avec le Centre d’Études Politiques, Économiques et Sociales (CEPES) des « diplômes d’université » de niveau maîtrise et destinés principalement aux étudiants étrangers. Puis, dans les années 1990, l’Institut créa des diplômes nationaux spécialisés sur l’Amérique latine. Actuellement, l’IHEAL offre des formations de tous les niveaux (licence, master, doctorat) ainsi qu’un diplôme d’université de niveau bac +4 qui offre une approche pluridisciplinaire en sciences sociales sur l’Amérique latine.
Au fil des années, les diplômes à l’IHEAL et donc le profil des étudiants changèrent. Si cet établissement fut alimenté par l’exil de l’Amérique latine dans les années 1960 et 1970, actuellement les étudiants français ne sont plus une minorité. S. Velut affirme que le profil de l’étudiant d’aujourd’hui a évolué. À peu près 50% des étudiants sont Français, 40% sont Latino-américains et 10% d’autres nationalités, notamment d’autres pays européens. Il ne faut pas oublier que dans le pourcentage d’étudiants français, il y a un nombre important d’enfants de Latino-américains, notamment d’exilés des dictatures militaires.
Double nationalité, double identité
Claudine Tamayo Dejean est une franco-péruvienne de 33 ans qui a fait des études à l’IHEAL. Au contraire des enfants de parents exilés, son père vint en France en 1979 pour finir ses études en Ingénierie qu’il avait commencées au Pérou. Quelques temps après, il rencontra une française avec qui il eut 4 enfants.
Tamayo affirme qu’elle fut élevée dans une ambiance complètement française, avec peu de contact avec la communauté latino-américaine. C’est lors des échanges universitaires qu’elle rencontra beaucoup de latino-américains (au Canada, en Espagne et au Mexique). À Paris, elle travailla comme assistante de recherche à l’IHEAL et aussi dans le cadre d’une mission avec le ministère d’Affaires Étrangères, direction Amériques.
Claudine Tamayo Dejean.
Pour se rapprocher de ses origines, C. Tamayo décida d’étudier à l’IHEAL, endroit où elle fut influencée par la culture latino-américaine : « Ce qui est intéressant dans le fait de faire ses études à l’IHEAL est qu’on a l’impression d’être dans une petite communauté latino-américaine à Paris. Les étudiants viennent de tous les pays de cette région et même des Caraïbes. » Selon C. Tamayo, les étudiants de cet Institut ne sont pas là-bas par hasard, ils ont toujours une affinité avec l’Amérique latine. Ainsi, il est fort possible que le nouvel étudiant rencontre des Franco-Latino-américains, des Français(e)s marié(e)s avec un(e) Latino-américain(e) et aussi des Français juste intéressés par cette région. Beaucoup de professeurs viennent de là-bas et il y a même des cours dispensés en espagnol.
Quand la distance géographique est importante, il est parfois difficile d’approcher la vraie réalité et de voir, dans le cas académique, qu’il y a des différences dans la façon dont les élèves apprennent. Pour C. Tamayo, ces différences furent plutôt positives. Cependant, elle admet que la façon de travailler avec les étudiants d’autres pays est assez différente de la française : « Même si je suis Franco-péruvienne, je sens que je suis différente d’une personne qui vient du Pérou, je ne me positionne pas pareil. Par exemple, le Sud-américain travaille beaucoup en groupe et aime aller vers les gens, il n’est pas individualiste comme dans la culture française. Par contre, les Français sont plus réservés, plus académiques et vont parler moins en public. Bref, ils sont plus inhibés que les Latino-américains qui prennent la parole facilement et parfois sont plus « freestyle ».
1. BATAILLON, Claude, Un géographe français en Amérique Latine, Chapitre IX : L’IHEAL, au-delà du demi-siècle ?, Collection Travaux et Mémoires, Editions de l’IHEAL, 2008, dans : books.openedition.org
* Sébastien Velut a occupé le poste de Directeur jusqu’à mai 2015. Il a été remplacé par Olivier Compagnon.
Plus d'infos
Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine
28 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris
+33 (0)1 44 39 86 60
www.iheal.univ-paris3.fr