Benvenuto Chavajay Ixtetelá, 4'33'' (John Cage), Mixed media, 2014. Courtesy of the artist and the Collection of Hugo Quinto and Juan Pablo Lojo. Presented with the support of Hugo Quinto and Juan Pablo Lojo.
10 décembre 2019
Art
Cosmopolis : laboratoire pour un autre monde
Cinquante microphones de terre cuite, une stèle en tissu rouge, une installation architecturale rétrofuturiste, entre plantes tropicales et parapluies pour enfants : bienvenue à « Cosmopolis #2 », exposition réunissant des œuvres de quarante artistes du monde entier, de la Tasmanie au Salvador.
Texte Christina Chirouze Montenegro Photos Hervé Veronese Vidéos Centre Pompidou
« Cosmopolis » est une invitation à repenser l’humain, à interroger nos paradigmes, à écrire de nouvelles histoires, à observer à travers d’autres prismes. Plus qu’une exposition, c’est un espace de réflexion destiné à questionner le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Quand Kathryn Weir (1) est recrutée en 2015 par le Centre Pompidou, après son expérience de commissaire à la Asia-Pacific Triennial à Brisbane, en Australie (2), c’est pour un projet très spécifique : « Cosmopolis ».
Simón Vega, 'Archipiélago de Intercambio', Mixed media, 2019. Commissioned for ‘Cosmopolis #2: rethinking the human’. Presented with the support of Galerie Ernst Hilger, Vienna, Liliana Bloch Gallery, Dallas, Carolina Alvarez-Mathies with Ceres Estates and Ron Cihuatán, Claude Albritton III, Steve Kinder.
Simón Vega, 'Archipiélago de Intercambio', Mixed media, 2019. Commissioned for ‘Cosmopolis #2: rethinking the human’. Presented with the support of Galerie Ernst Hilger, Vienna, Liliana Bloch Gallery, Dallas, Carolina Alvarez-Mathies with Ceres Estates and Ron Cihuatán, Claude Albritton III, Steve Kinder.
Bien que cette exposition soit la traduction la plus visible de « Cosmopolis », ce projet est plus vaste et ambitieux, aussi bien temporellement que géographiquement. Toile d’araignée tissée entre divers points du globe, « Cosmopolis » encourage des collaborations durables, des réflexions profondes et des interconnexions qui dépassent les frontières.
Kathryn, aux côtés d’autres commissaires, voyage dans le monde entier pour dénicher des talents. Elle commence par un aller-retour de Paris à Chengdu, en Chine, pour présenter au cours des trois éditions de « Cosmopolis » (la 2ème étant la #1.5) un véritable florilège d’artistes (plus de 100) issus des territoires les moins explorés de l’art contemporain. Leur point commun ? Ils jettent une lumière nouvelle sur ce qui les entoure, des questions les plus insondables aux affirmations les plus déterminées et audacieuses.
Sandra Monterroso, 'Columna Vertebral Roja', Wood and cotton, 2017. From the series 'Columnas Vertebrales' 2012-2017. Courtesy of the artist and NG Art Gallery, Panama.
L’art latino-américain à l’honneur au Centre Pompidou
Pour cette édition, on remarque la présence d’artistes latino-américains jusqu’ici méconnus sur la scène artistique française : Julieta Aranda (Mexique), Adrián Balseca (Équateur), Adriana Bustos (Argentine), Carolina Caycedo (Colombie), Benvenuto Chavajay Ixtetelá (Guatemala) Sandra Monterroso (Guatemala), Claudia Peña Salinas (Mexique) et Simón Vega (El Salvador).
Chacun présente une vision qui, tout en tendant vers la globalité, reste cependant enracinée dans l’identité latino-américaine. Chacune des œuvres traduit une ouverture, un point d’interrogation. Elles trouvent toutes des échos sous d’autres latitudes, mais, de par leurs racines, elles bénéficient d’une valeur immense : celle de venir d’un terreau d’hybridité culturelle, d’un laboratoire d’expériences sociales et politiques, d’un lieu où l’ultra-modernité coexiste quotidiennement avec la tradition, où la richesse extrême côtoie, indifférente, la misère infrahumaine.
Adriana Bustos, 'Planisferio Venus’, Acrylic, graphite, gold and silver leaf, 2019. From the Vision Machine project. Commissioned for ‘Cosmopolis #2: rethinking the human’. Courtesy of the artist. Presented with the support of Amalia Amoedo and the Institut Français Argentine, Ambassade de France en Argentine, Diálogo Franco Argentino.
Pour connaître un peu mieux cette exposition, la commissaire de l’exposition, Kathryn Weir, nous a donné quelques clés des coulisses de ce projet :
Comment l’exposition « Cosmopolis » a-t-elle été conçue ?
Créée au Centre Pompidou en 2015, « Cosmopolis » met l’accent sur des pratiques artistiques contemporaines basées sur la recherche, et enracinées dans un contexte spécifique. Des pratiques souvent collaboratives et interdisciplinaires, qui prennent en compte la question de la traduction culturelle. La plateforme veut poser des bases pour une réflexion alternative sur les pratiques actuelles à l’international, au-delà du modernisme en Europe et aux États-Unis.
Pourquoi ce nom, et d’où vient le projet ?
La majorité des artistes avec lesquels nous travaillons développent une pratique centrée sur les idées et les sociétés actuelles, la production de relations et l’échange de connaissances. Ils participent à la résurgence d’intérêt pour les théories de la cosmopolitique et du localisme cosmopolite, comme le dit Walter Mignolo, théoricien de la décolonialité qui a d’ailleurs pris « Cosmopolis » comme cas d’étude dans ses cours à l’Université de Duke (États-Unis).
Kathryn Weir
Les deux éditions précédentes incluaient-elles des artistes latino-américains de la même manière ?
En parlant d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, pour la préparation de « Cosmopolis #1 », j’ai eu des périodes de recherche en Argentine, au Brésil, au Chili, en Colombie et au Mexique. Intitulée « Collective intelligence », cette première édition était centrée autour des modalités de collaboration spécifiques à notre époque et autour de la création collective de dispositifs de partage de savoirs.
Le projet comprenait des œuvres et des programmes de quinze collectifs et groupes collaboratifs, ainsi que neuf semaines de programmation au sein de l’exposition. Nous avons présenté un focus sur la richesse de la scène collaborative en Colombie, avec Arquitectura expandida, Laagencia et Por Estos Días.
Des membres de ces collectifs étaient présents pour des périodes prolongées à Paris et ont proposé des ateliers et des discussions. Le duo argentin Iconoclasistas a également présenté une nouvelle cartographie murale et l’affiche de la cartographie que le public pouvait emporter.
Dans « Cosmopolis #1.5 », organisé à Chengdu, nous avons invité Manuel Chavajay (Guatemala), Ximena Garrido-Lecca (Pérou), Oscar Farfán (Guatemala, Mexique) et de nouveau Arquitectura Expandida (Colombie).
Adrián Balseca, 'Project for a portrait’ (The Origin of Introduced Species), Digital video, colour, sound, 10’05", 2016. Courtesy of the artist.
Pour cette édition, vous avez choisi de donner une place importante aux artistes d’Amérique centrale. Racontez-nous comment votre intérêt pour cette scène est né.
Les artistes et curateurs mexicains ont une visibilité à l’international, ainsi qu’un accès à des discussions critiques et à certains soutiens. Leurs voisins en Amérique centrale ont relativement peu de visibilité. Pourtant, ce sont des scènes très actives à partir desquelles les artistes créent les structures qu’ils ont envie de voir vivre.
Ilaria Conti (commissaire associé) et moi, nous avons fait un voyage de recherche au Guatemala en 2018, où nous avons rencontré beaucoup d’artistes intéressants et apprécié la subtilité du discours autour de l’identité et l’histoire qui a été entamée par les artistes mayas. Pour « Cosmopolis #2 », qui présente des œuvres explorant d’autres cosmologies, systèmes économiques et articulations géographiques, nous avons eu des échanges très pertinents avec des artistes travaillant dans ces contextes au Salvador.
(1) Commissaire de l’exposition, avec les commissaires associés Ilaria Conti, Charlène Dinhut et Zhang Hanlu
(2) De la Queenlsand Art Gallery / Gallery of Modern Art à Brisbane