16 juillet 2019
Voyages
Bogotá, la sulfureuse devenue (très) fréquentable
Dans les années 1980, la capitale colombienne était l’une des plus dangereuses au monde. Pourtant, depuis plus de deux ans et la signature des accords de paix, de nombreux voyants sont au vert. La violence a diminué et le tourisme a explosé au point de faire de Bogotá aujourd’hui l’une des destinations touristiques d’Amérique latine. Reportage.
Texte Nathan Mergy et Violaine Prior Photos Nathan Mergy et Violaine Prior
Un dimanche de mars, place Simon Bolivar. Au milieu de l’agitation habituelle, entre les vendeurs itinérants qui usent de la voix pour écouler mangues et fourmis grillées, une dizaine de touristes s’amasse autour d’un parapluie. Au pied de la statue du Libertador, Maria accueille son groupe du jour. « Welcome to Bogotá! » lance t-elle avant d’entamer plus de trois heures de visite. Ils sont Américains, Brésiliens et Européens, elle est Colombienne mais s’exprime dans un anglais quasi-parfait. Elle fait partie d’Heroes Tour, une association qui propose chaque jour des balades « anti-clichés » de la ville.
Son fondateur français, Elisée, a eu cette idée en constatant que « les gens connaissaient uniquement la Colombie à travers Netflix, Pablo Escobar et les FARC. Mais la Colombie ce n’est pas ça, ou pas seulement ».
Les temps ont changé
Le rendez-vous est donc fixé au cœur de la Candelaria, quartier historique de Bogotá. En 1985, à quelques mètres du Palais de Justice, une prise d’otages se terminait en bain de sang et près de 100 morts.
Une page sombre de l’histoire nationale qui faisait de la capitale colombienne, à cette époque, la ville avec le plus d’homicides au monde. Plus de trente ans après, et après la signature de l’accord de paix entre le gouvernement et l’ancienne guérilla des FARC à la fin de l’année 2016, mettant fin à plus de 50 ans de conflit, les temps ont changé. La violence a reculé de 60%, les Bogotanais ou « rolos » sortent enfin de chez eux, et mieux encore, la capitale colombienne séduit les étrangers. L’an dernier, ils étaient 1,7 million à s’y déplacer, soit une progression de 60% en quatre ans.
Moins médiatique que sa voisine Medellin, moins courtisée et ensoleillée que Carthagène, Bogotá a joui pendant très longtemps d’une mauvaise réputation : « C’est vrai que le charme n’opère pas forcément au premier abord » reconnaît John, américain de passage dans cette ville nichée au pied de la Cordillère orientale, à 2600 mètres d’altitude et qui fait d’elle la 3ème capitale la plus haute au monde. « Le climat doit jouer pour beaucoup. Il pleut pas mal et fait assez froid, ce n’est pas vraiment l’image que je me fais de la Colombie ».
Et pourtant, malgré un séjour arrosé, John l’a prolongé d’une journée dans la capitale. « Je veux absolument voir le musée de l’Or », assène-t-il, l’un des lieux phares de la ville et qui contient en son sein la plus grande collection d’or d’Amérique du Sud.
Car Bogotá sait séduire grâce à ses atouts : « Nous misons gros sur la culture, nos musées sont parmi les plus beaux en Amérique latine. Sans compter les concerts, les festivals, nous sommes à la pointe sur beaucoup de choses. Et le tout, gratuit bien souvent », affirme José Andrés Duarte, le directeur de l’Institut du tourisme de Bogotá qui avance le chiffre de 200 événements culturels organisés chaque année dans la ville.
Parmi les lieux gratuits, le musée Botero, dédié entièrement à l’œuvre du peintre et sculpteur colombien, Fernando Botero. Fierté nationale, « il a acquis une renommée mondiale de son vivant, ce qui est plutôt rare », affirme la guide Maria après deux heures de visite à pied dans la Candelaria. Avant d’enchaîner : « Nous pourrions aussi citer le prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez. Voilà, la Colombie, c’est aussi ça ».
À quelques pas de là, entre les murs de maisons colorées de style colonial du quartier, trois Français ont su prédire un avenir positif à la Colombie. Bien avant la paix, en 2012. Ils ont lancé une chaîne d’hôtels, sont aujourd’hui à la tête de 4 établissements dans le pays, mais c’est à Bogotá qu’ils ont saisi, en premier lieu, le potentiel touristique. « La ville est une porte d’entrée et de sortie pour ceux qui veulent découvrir et faire le tour de l’Amérique du Sud », concède Nicolas, l’un des cofondateurs de Masaya. Il observe une évolution et une démocratisation du tourisme dans la capitale. «Au début, c’était plutôt les backpackers qui venaient pour quelques jours. Maintenant, on observe davantage un tourisme de masse, avec beaucoup de familles et de personnes âgées ».
Mais il reconnaît aussi une concurrence de plus en plus grande. Il faut dire que les enseignes sont nombreuses à proximité, dans un quartier historique où l’ensemble des musées, restaurants et hôtels semble concentrer en une poignée de mètres carré. Juan, lui, a préféré opter pour un autre quartier, à la réputation pas encore faite mais qui attire aussi ses intéressés. En 2011, ce colombien de 38 ans a saisi l’occasion d’une paix probable pour rentrer au pays après 6 ans passé à l’étranger. Et a tout misé sur le quartier bohème de la Soledad. Pas d’hôtels à l’horizon, mais plutôt une succession de maisons d’un style plus « british » que colonial qui cachent de nombreux bars et théâtres, fréquentés par la jeunesse branchée de Bogotá.
Juan a acheté la sienne puis l’a mise en ligne sur le site de location Airbnb. « Cela fonctionne très bien, je n’ai quasiment que des étrangers, et dans la grande majorité ce sont des français. Avant, les touristes ne venaient quasiment pas à Bogotá ou restaient un ou deux jours, pas plus, et c’était à chaque fois dans la Candelaria. Aujourd’hui, s’ils viennent ici, c’est qu’ils sont à la recherche d’autre chose : ils veulent expérimenter la vraie vie bogotanaise ». Le soir même, il doit accueillir deux Français, la trentaine, qui ont prévu de se rendre à l’un des nombreux festivals, en plein air et gratuits, organisés dans la ville.
Vivre « à la bogotanaise », insister sur une expérience authentique, c’est également l’un des leitmotivs de la mairie depuis quelques mois. Au programme : ateliers de cuisine traditionnelle ou alors initiation aux graffitis, dans une ville où ils sont présents à chaque coin de rue. Entre tradition et modernité, la capitale organise même un festival de musique électro dans ce qu’on appelle ici le Bronx, l’un des quartiers anciennement les plus dangereux de la ville. « Voilà ce que l’on sait faire également. Bogotá est une ville qui a beaucoup d’histoire mais pas seulement, elle est aussi résolument tournée vers l’avenir », conclut le directeur de l’Institut du tourisme de Bogotá.
Même si cela ne suffit pas, qu’il reste à convaincre, notamment sur l’insécurité et la pollution. Son prochain objectif, d’ailleurs, devenir capitale mondiale du vélo en 2019.