L’idée du PianoMóvil est née d’une nécessité artistique. En tant que pianiste colombien à formation classique, il me devenait de plus en plus difficile de concilier cette pratique musicale à filiation européenne d’un côté, et les dilemmes moraux suscités par cette pratique dans un pays caractérisé par les inégalités sociales et déchiré par les traumatismes de plus d’un demi-siècle de conflits armés ininterrompus.

En Colombie, j’avais toujours regretté la difficulté de partager l’art du piano avec les citoyens qui n’appartiennent pas au milieu de la musique. Je rêvais de sortir un piano à queue dans la rue, de raconter au pays les richesses insoupçonnés de notre pratique artistique. Plus tard en France, des influences tels que le film « L’homme aux serpents » d’Eric Flandin m’ont incité à penser encore plus grand : Le PianoMóvil pouvait aussi être rural, national, un geste collectif et un symbole significatif dans le contexte national. Le PianoMóvil pouvait me permettre de partager ma musique, mais aussi il pouvait me faire découvrir tout ce que j’ignore sur la Colombie et sur son actualité musicale et sociale.

Dès les premières représentations du projet – et de façon assez surprenante – le projet s’est révélé un dispositif puissant, capable de rassembler des individus issus de domaines très différents pour une réflexion autour de thématiques sociales et artistiques.

Diego Franco et son piano à Gare du Nord, à Paris.

Diego Franco et son piano à Gare du Nord, à Paris.

Des sujets aussi variés que la valorisation des patrimoines et des pratiques culturelles, la possibilité ou l’impossibilité d’une neutralité politique dans l’art, le relativisme culturel et les processus de décolonisation en Amérique latine, ou encore le rôle de l’art pour des populations au plus bas de l’échelle de pauvreté, furent mis de bonne heure sur la table des discussions.

"Les mots sont indispensables pour faire avancer n'importe quelle cause, y compris la cause de l’art et de la pratique musicale."

Des sympathisants du projet à qui la Colombie tient à cœur, lui reconnaissant un certain potentiel au vu du contexte actuel du pays, exprimèrent aussi leur désir d’y voir associé d’autres sphères de réflexion, au-delà du sujet musical, telles que l’environnement, l’égalité des genres, l’appropriation sociale de l’espace public, ou encore l’accompagnement des procès de réconciliation dans le contexte de post-signature des accords des paix.

Nous sommes à présent au moment décisif de notre campagne de financement collectif. Nous venons de lancer une campagne de crowdfunding pour financer la première expérience pilote du projet Bogotá.

Diego Franco avec des membres de l'Association Euphonia.

Diego Franco avec des membres de l'Association Euphonia.

Quelques mots sur le PianoMóvil

La musique et les mots ont une relation oscillant de l’amour à la haine. Nous, les musiciens, avons souvent l’espoir que la musique suffise pour dire tout ce qu’il faut savoir sur nous. « La musique dit l’indicible », aimons-nous penser. Un grand musicien a dit ainsi que « si l’on pouvait dire avec des mots ce qui est exprimé par la musique, la musique elle-même serait alors inutile. » Pourtant, les mots sont indispensables pour faire avancer n’importe quelle cause, y compris la cause de l’art et de la pratique musicale. En musique, c’est souvent la capacité des autres à exprimer en mots leur expérience esthétique ce qui fait augmenter notre propre capacité de compréhension et d’appréciation.

Peut-on en conclure la même chose quand il s’agit des relations humaines ? Je pense que oui. Je pense que nos sens de la dignité et de l’appréciation de la vie sont grandement stimulés quand on témoigne chez les autres des actes de dignité et d’altruisme.

Pour un pays comme la Colombie, qui connaît bien les blessures du conflit et de la guerre, ce principe a une connotation importante. Dans un pays dont le contexte social nous a souvent contraints à penser, à dire et à agir dans la suspicion et la malice, nous avons besoin d’espaces de partage. Nous avons besoin de nous rencontrer autour de thématiques constructives. Nous avons besoin de nous entraîner dans l’art de reconnaître et d’exprimer la valeur des autres, pour mieux trouver notre propre valeur. Je suis convaincu qu’un piano peut encourager ces interactions.

Le projet PianoMóvil a pour but de rendre possible l’expérience musicale d’un récital, dans les coins les plus éloignés et pour les audiences les plus marginales. Nous avons imaginé ce piano dans les montagnes et les déserts, au milieu de la forêt, dans les rivières et sur les plages. Nous l’avons imaginé entouré d’enfants.

Le PianoMóvil n’est militant d’aucun projet politique, mais il enseigne la participation civique. Ce projet n’est pas un élément de publicité, mais il est capable d’y faire appel sans soumettre les idéaux de l’art aux réalités du marché. Il n’est lié à aucune école de pensée en particulier, mais il transmet des idéaux universels de fraternité, de réconciliation, de paix. Il ne représente aucune institution éducative, mais il insiste beaucoup sur la valeur suprême de l’éducation. Il n’est pas un activiste radical pour l’écologie, pour l’égalité des genres, pour la défense des traditions, mais il est capable de créer de nouvelles réflexions autour de ces sujets importants, en proposant de nouvelles perspectives susceptibles de s’adresser à un plus grand nombre d’auditeurs.

Le PianoMóvil utilise les mots pour se matérialiser en tant que projet, mais ils ne substituent pas l’intention de partager l’art de la pratique musicale avec générosité et dévotion.

Pour le musicien, il y a tant d’effort derrière chaque note. Tant d’heures, de jours, d’années dédiés à maîtriser un geste, une expression, une manière de respirer, que nous rêvons presque que le pouvoir de la musique suffise à changer le monde. Mais, on le sait bien, le monde ne fonctionne pas de cette façon. Nous travaillons surtout avec la conviction que les fruits durables de la pratique artistique, au-delà des indicateurs matériellement mesurables, viendront. Mais on peut être certain d’une chose : pour ceux qui oseront faire partie de cette aventure, pour ceux qui nous suivront avec l’envie sincère de donner le meilleur et de recevoir ce que ce voyage a à nous apprendre, ce seront certainement nos vies qui ne seront plus jamais les mêmes.

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